La femme et la déesse Celte et Gauloise: virginité, mariage, liberté d'action sociale et amoureuse,
Concepts de la “virginité” des déesses et de la femme celte.
vierge (parthenos) à plusieurs sens:
- Une jeune fille à marier ou encore non mariée
- Une femme n'ayant jamais eu de relation sexuelle avec un homme
- Une femme indépendante mais qui peut avoir connu des hommes et avoir des enfants
- Un homme qui s'est abstenu de toute impureté et ne s'est pas prostitué à l'idolâtrie, et a ainsi gardé sa chasteté
- Un homme qui n'a jamais eu de relation sexuelle avec une femme
Dans les traditions religieuses, des déesses mères à Marie, la femme sacrée est vouée à une virginité éternelle. Aujourd'hui, si toutes les religions prescrivent la chasteté pré-maritale, c'est chez les musulmans et les évangélistes que cette quête de pureté est la plus exaltée.
Aussi loin que l'on remonte dans le temps, les déesses vierges ont toujours existé. C'est sous cet aspect que, de l'Inde à la Méditerranée, incarnant toutes les formes de fécondité, elles acquirent une influence dominante. Lorsque s'affirma le rôle du mâle dans la génération, des époux leur furent adjoints, mais qui n'étaient que leurs serviteurs. Régnant sur la nature entière, ces déesses conservèrent leur aspect à la fois maternel et virginal. Ainsi, Ishtar, Astarté et Anat, divinités de la fertilité et de l'amour du Proche-Orient sont-elles qualifiées de vierges, bien que ces Grandes Mères (Magna Mater) aient toutes des amants et un ou plusieurs fils. Dans ce cas précis, « être vierge » n'est pas synonyme de chasteté, mais désigne une femme qui n'est pas mariée ; être vierge dans le monde ancien se rapporte donc à une qualité. Mais pas seulement : c'est aussi une attitude psychologique et un état subjectif. Ainsi, en dépit d'une sexualité vivante et plurielle et de grossesses successives, ces déesses demeurent-elles vierges. Inscrites dans un système matriarcal, elles sont avant tout maîtresses d'elles-mêmes, donc libres de refuser ou d'accepter les demandes des hommes. Un aspect singulier, très éloigné de la tradition chrétienne, qui a pourtant survécu occasionnellement : Élisabeth Ière, surnommée la « reine vierge », collectionna les favoris. Mais l'acception du terme laisse entendre, ici, qu'aucun homme jamais ne la posséda (ou ne la déposséda d'elle-même).
Un pouvoir quasi magique
Pour Esther Harding, psychologue jungienne, la déesse mère vierge « est une par essence, elle n'est pas la simple réplique féminine d'un dieu mâle, elle possède son caractère propre, elle est l'ancienne et l'éternelle, la mère de Dieu ; le dieu qui lui est associé est son fils, elle le précède nécessairement. Elle possède sa divinité de plein droit ». Ainsi, Neith l'Égyptienne, créatrice de sa propre existence, qui se suffit à elle-même et qui engendre le dieu soleil Rê, sans partenaire mâle.
On retrouve cet état virginal dans les divinités et figures mythologiques guerrières (ou chasseresses) de l'Antiquité, comme Artémis, vouée à une virginité éternelle - elle rejette quant à elle tout contact amoureux -, Hippolythe, la reine des Amazones, Athéna ou encore Neith, armée de son bouclier et de ses flèches. La chasteté sacrée est ici le symbole de leur autonomie, elle n'a pas de connotation morale. Si ces déesses repoussent les hommes, c'est aussi pour conserver leur puissance extérieure et intérieure. Car la virginité présente un autre avantage pour le monde classique - dont héritera la chrétienté : elle confère un pouvoir quasi magique, celui de la force et de la pureté rituelle. Voilà pourquoi Héra, épouse de Zeus, mère de famille et divinité protectrice des femmes, se baignait chaque année dans la fontaine de Kanathos, afin de retrouver son pucelage.
« Une chapelle consacrée »
Dans le christianisme, Marie réunit tous les rôles attribués dans l'Antiquité aux déesses : mère, vierge, guerrière dominant les plantes et les animaux. Mais elle seule possède une virginité perpétuelle, et une impeccabilité absolue. En effet, pour les Pères de l'Église, la femme est la cause de la Chute, la tentatrice, que l'on range aux côtés de Satan. D'où l'impératif des premiers siècles de la chrétienté d'exempter la mère du Christ d'une sexualité abhorrée et d'affirmer sa pureté virginale. Le fils du Père ne peut être né que d'une matrice pure. Intacte, Marie est garante de la divinité de son fils et sa maternité virginale, la condition implicite de l'établissement du dogme.
Marie apparaît aussi comme la seconde ou nouvelle Ève, la mère du nouvel Adam dont le sacrifice rachète l'humanité déchue. Elle-même répare la désobéissance d'Ève et « libère ainsi par sa foi tout ce que son prototype avait tenu prisonnier », explique l'anthropologue des religions Edwin Oliver James. En 431, au concile d'Éphèse, où la Sainte Vierge est reconnue à la fois mère du Christ et Théotokos, mère de Dieu (c'est-à-dire mère à la fois de l'homme et du verbe de Dieu incarné), elle est proclamée « innocente et sans péché, inviolée, sans tache, qui a fleuri comme un lis parmi les épines... ignorante des mauvais penchants d'Ève ». Co-redemptrice, sa préservation de la souillure du péché originel est directement corrélée à la perfection inhérente à la personne du Christ. « Ô Marie, écrit saint Cyrille d'Alexandrie, véritable trésor de tout l'univers, couronne de la virginité... temple incorruptible. »
L'Église déclare définitivement sa virginité perpétuelle, qui a fait l'objet de débats théologiques, ante partum, in partu et post partum - avant, pendant et après - la naissance du Sauveur. C'est ainsi que le corps de la Vierge Marie devient, selon le philosophe Michel Cazenave, « temple de Dieu, une chapelle consacrée, une couche sanctifiée, et ses entrailles le trône où Jésus peut siéger ». Et la virginité chrétienne va prendre une dimension mystique, quasi prophétique : on vérifiera à plusieurs reprises l'hymen de Jeanne d'Arc, Dieu ne pouvant inspirer et parler qu'à une « pucelle ». Cette intégrité physique et spirituelle lui confèrera cette même puissance qui animait les guerrières antiques. Et le respect fidèle des troupes dont elle prendra la tête.
Femme celte et biens
La femme celte était relativement indépendante de l'homme, elle pouvait posséder des biens propres : bijoux, bétail... Si la propriété foncière était collective chez les Celtes, à côté, la propriété mobilière individuelle était admise. La femme pouvait user de ses biens personnels à sa guise, elle les conservait en cas de mariage et pouvait les reprendre en cas de divorce. Le mariage était une institution souple, résultat d'un contrat dont la durée n'était pas forcément définitive. En théorie, la femme choisissait librement son époux et lorsque c'est elle qui possédait plus de biens que son mari, c'est elle qui dirigeait toutes les affaires du ménage sans demander l'avis à son époux. Si la fortune de l'homme et de la femme étaient à égalité, le mari ne pouvait gérer les biens sans en référer à son épouse. En se mariant, la femme n'entrait jamais dans la famille de son mari, elle appartenait toujours à sa famille d'origine, et le prix que versait le mari pour l'achat de sa femme n'était qu'une compensation donnée à la famille de celle-ci. En cas de divorce, la femme retournait dans sa famille d'origine. Si l'homme décidait d'abandonner sa femme, il devait s'appuyer sur des motifs graves, si non, il devait payer des dédommagements très élevés. La femme pouvait se séparer de son mari en cas de mauvais traitements, elle pouvait alors reprendre ses biens propres et sa part des biens acquis pendant toute la durée du mariage. Le divorce pouvait aussi s'effectuer par consentement mutuel, la séparation n'était pas liée à une quelconque culpabilité, c'était simplement un contrat qui cessait.
Dans certaines situations, notamment dans les familles royales, la transmission des biens ou de la souveraineté se faisait par l'intermédiaire de la mère ou de l'oncle maternel (l'exemple de Tristan, héros d'une légende médiévale d'origine celtique, héritier de son oncle Mark, en est le plus célèbre).
En-dehors du mariage, il existait une sorte de concubinat réglementé par des coutumes très strictes. Un homme pouvait prendre une concubine, mais s'il était marié, il ne pouvait le faire qu'avec l'accord de son épouse légitime. La concubine et sa famille recevaient une compensation financière et un contrat stipulait la durée du concubinat (un an jour pour jour, renouvelable). Cette coutume qu'on a pu appeler "mariage temporaire" ou "mariage annuel" avait le mérite de sauvegarder l'indépendance, la liberté et la dignité de la femme concubine. Si le contrat passé n'était pas respecté par le concubin, la femme concubine pouvait en appeler à la décision d'un juge, en général un druide qui, en plus de ses fonctions religieuses, exerçait des fonctions judiciaires.
Une des caractéristiques les plus étonnantes – mais bien souvent, les auteurs antiques notent l’étrangeté des mœurs sexuelles des Barbares – concerne la « communauté » des femmes dont parle César et dont se fait l’écho Strabon.
Jules César dans La guerre des gaules, V, 14, nous dit : « Leurs épouses [aux Bretons] sont communes à des groupes de dix et douze hommes, particulièrement entre frères et entre pères et fils ; mais les enfants, qui naissent de ces unions, sont réputés appartenir à celui qui a amené, le premier, la femme encore vierge, à la maison. »
Il s’agit sans doute de la description d’un état assez ancien de la civilisation celte, qui avait disparu au Ier s. avant notre ère, mais qui avait pu se maintenir dans certaines tribus celtiques. Le fait même qu’il s’agisse de zones « marginales » s’accorde avec l’archaïsme de ces traditions.
Les femmes celtes ayant des mœurs assez libérés, il n’était pas possible de garantir avec certitude la paternité de l’enfant (voir Guenièvre & Lancelot).
La descendance du roi, au lieu de passer par les enfants de son épouse, passait donc par les enfants de sa sœur (comme chez les Pictes d’Ecosse). Fils et neveux sont du même sang que le roi, mais seuls les enfants de sa sœur sont fiables (trame de Tristan et Iseult [Tristan devant à l’origine succéder au roi Mar’ch son oncle maternel], ou des Chevaliers de la Table Ronde [triptyque Arthur – Morgane – Guenièvre]). Voilà donc l’ancienne tradition. Aujourd’hui encore en Afrique noire subsiste des conflits de succession, entre l’ancienne tradition matriarcale (d’oncle maternel à neveux), et la nouvelle tradition patriarcale (de père en fils), souvent apportée par l’islam ou le christianisme.
Chez les celtes, l’éducation de l’enfant était complétée chez son oncle maternel. Ainsi, William »Braveheart » Wallace, chef de la résistance écossaise face à l’occupant anglais (XIIIe siècle), fut éduqué par son oncle maternel Argheim. Dans les familles royales Celtes, comme chez les Pictes, et jusqu’à la 1ère dynastie d’Écosse (maison Mac Alpin, IXe siècle), bien souvent, le trône ne se transmettait pas de père en fils, mais d’oncle maternel à neveux. Cette transmission est dite « avonculaire ». « On est sûr de la mère, mais pas du père ».
Le problème des enfants pouvait cependant soulever des difficultés. En principe, les enfants appartenaient à la famille du père, de ce fait, ils n'étaient jamais abandonnés, d'autant plus que le système du "fosterage" était pratiqué. Il consistait à envoyer les enfants dans une autre famille afin qu'ils reçoivent une éducation manuelle, intellectuelle ou guerrière, ce qui élargissait le cadre de la vie familiale. Les enfants pouvaient hériter de leurs deux parents et les filles n'étaient pas écartées de la succession, même si elles étaient défavorisées par rapport aux garçons.
D'où vient la place enviable de la femme celte dans la société?
Cette situation vient de l'image que se sont fait les Celtes pour cet être doué de donner la vie; toute la tradition celtique, galloise, irlandaise, bretonne, insiste sur le caractère de souveraineté de la femme. On retrouve ce sentiment dans la littérature européenne du Moyen Age, notamment dans le cycle arthurien, du nom du roi Arthur, qui est d'origine celtique. L'épouse du roi Arthur, la reine Guenièvre, que les anciens textes gallois nomment "Gwenhwyfar" ("Blanc fantôme") est le modèle de ces femmes qui incarnent la souveraineté. C'est elle, qui par sa beauté et sa valeur, permet aux chevaliers de montrer leur bravoure. Le chevalier Lancelot n'avoue-t-il pas que toute sa valeur lui vient de l'amour de la reine Guenièvre qui est le centre de la Cour? La plupart des héroïnes des légendes celtiques proviennent du souvenir d'une antique déesse solaire.
Dans toutes les langues celtiques, le mot soleil est féminin et le mot lune, masculin. Si la Femme est le Soleil, c'est sans doute que les Celtes ont connu une divinité solaire féminine. Le visage de cette divinité se retrouve aussi dans la légende de Tristan et Iseut. C'est Iseut, la femme, qui oblige l'homme à l'aimer, c'est elle qui mène le jeu par sa passion violente, elle entraîne l'homme dans une aventure amoureuse, elle l'oblige à l'aimer malgré lui sous peine de perdre son honneur et sa vie. C'est le thème récurrent de la souveraineté que l'on doit conquérir, non seulement par force, mais par amour. La quête du Graal, dont la version primitive est d'esprit entièrement païen et même druidique, est la recherche passionnée d'un objet sacré qu'on ne peut obtenir que grâce à une femme aux multiples visages. Dans l'imagination des Celtes, la femme est l'initiatrice, la messagère des dieux, celle qui introduit l'homme dans un monde nouveau, celui des réalités supérieures.
Cependant, par cette puissance qu'elle incarne, la femme a inquiété les Celtes et ils ont cherché à s'en rendre maîtres. Une légende galloise conservée dans un des récits du Mabinogi nous montre comment l'homme essaie de se soustraire à la domination de la femme.
L'homme a toujours prétendu avoir des droits de possession sur la femme et ne pouvant se passer d'elle en tant que mère, épouse ou amante, il a fait en sorte de jeter sur elle de terribles interdits teintés de culpabilité. D'après leurs récits mythologiques, les Celtes semblent avoir été conscients de ce phénomène et il y a chez eux comme un regret d'une époque antérieure où la femme jouait un rôle plus considérable. La légende de la ville d'Ys (en Bretagne) nous prouve la pérennité de l'image féminine antique à travers les surfaces troubles de la mémoire. Dahud, est condamnée par les hommes à périr parce qu'elle défie les lois patriarcales en étant la souveraine de la ville d'Ys. Un raz de marée submerge la cité qui disparaît avec sa reine. Mais selon la légende, Dahud vit toujours au fond de la mer dans son merveilleux palais et elle attend le moment propice pour réapparaître à la surface des eaux. Le symbole est clair : la souveraineté féminine est occultée, engloutie sous les eaux, dans l'inconscient. Mais lorsqu'elle réapparaîtra en plein jour, alors sera retrouvé le paradis perdu où règne, toute puissante, la femme-soleil, celle qui donne la vie et qui procure l'amour. Les hommes, après avoir rejeté la femme dans les ténèbres, passent leur vie à la rechercher car ils savent qu'ils n'atteindront le bonheur qu'à condition de retrouver leur pureté primitive, celle d'un paradis perdu.
La femme celte occupe donc bien une position favorable dans la société où elle vit, sa condition s'est ensuite nettement dégradée et elle devra attendre des siècles pour reconquérir ses droits. On peut considérer que la femme européenne d'aujourd'hui possède en gros les mêmes droits matrimoniaux que la femme celte.