5 Mercure Hermes, divinité liminale, dieu du commerce et des voyages
Mercure (lat. : Mercurius) est le dieu du commerce, des voleurs, des voyages et messager des autres dieux dans la mythologie romaine, assimilé à l'Hermès grec. Son nom est lié au mot latin merx (fr. : marchandise), mercari (fr. : commercer), et merces (fr. : salaire). Ses attributs traditionnels sont la bourse, le plus souvent tenue à la main, le pétase, le caducée, des sandales ailées ainsi qu'un coq et/ou un bouc. Il était célébré le 15 mai en particulier.
Mercure n'apparait pas parmi les divinités di indigetes de la religion romaine archaïque. Au moment de son assimilation avec le dieu grec Hermès, commençant vers le ive siècle av. J.-C., il réunit les fonctions des Dei Lucrii, ces anciennes divinités du commerce, de l'échange et du profit.
Certains historiens, voient en Mercure la fusion du dieu grec Hermès et d'un dieu pré-romain – peut-être étrusque – du contrat. Ce terme de contrat serait à prendre au sens large : aussi bien contrat marchand, qu'accord entre des personnes portant sur des choses non monétaires.
Hermès est un dieu du hasard et des sorts (pour l’auteur de la Bibliothèque d’Apollodore, III, 10, , Hermès aurait obtenu d’Apollon la divination par les cailloux, qui est ce qu’il y a de plus aléatoire).
Il est « dieu des routes » ( Ἐνόδιος ). Il est le guide (en particulier des morts ou des songes) : Hermès Ἡγεμόνιος ; Hermès Ἀγήτωρ ( Pausanias, VIII, 31, ) ; Hermès Καθηγητήρ κελεύθου, « Qui montre le chemin » ; Hermès Πομπέυς, Πομπαῖος ou Πομπός, « Qui escorte ». Il y a un Hermès ψυχοπομπός ou νεκροπομπός , un Hermès Ὀνειροπμπός . Il est « dieu souterrain » : Hermès Χθόνιος . À ce titre, il est « dieu lieur » : Hermès κάτοχος ou κατούχιος, « celui qui retient solidement » (invoqué conjointement avec Gê, Perséphone ou Hécate sur les defixiones magiques). Il est le héraut : Hermès Κῆρυξ des immortels . Il est « dieu des gonds », ou « dieu qui fait tourner » : Hermès Στροφαῖος . Il est le « trompeur » : Hermès Δόλιος . Il est « le dieu présidant aux jeux et aux concours » : Hermès Ἐναγώνιος ; les inscriptions relatives à l’Hermès des athlètes et de la jeunesse se multiplient à partir de la haute époque hellénistique dans l’ensemble du monde grec . Mais selon la liste figurant dans le lexique établi par Dominique Jaillard, s’il est bien le dieu « de l’agora » (agoraios) ou du stade (agônios), il est également l’orateur « qui parle bien » (logios) ; celui qui « dérobe sa pensée, captive et cache » (klepsίphron : il y avait à Chios un culte d’Hermès κλέπτης ) ; il est le « porte-bélier » (criophóros), qui s’occupe des troupeaux (nómios) ; il est le « tueur de bœuf » (bouphónos) ; il est le « bienfaisant » (akakésios ; erioúnios)… Hermès est aussi le « serviteur » qui se soumet à la volonté de Zeus, s’assimile à la « bouche de Zeus qui ne sait pas mentir ». Devant cette avalanche de descriptifs, difficiles apparemment à regrouper logiquement, on a été tenté de privilégier tel aspect , et de faire d’Hermès, par exemple un dieu du cairn ou tas de pierres en bordure des chemins (herma) ; ou un dieu de la fécondité (le pilier hermaïque, ou hermès, est en effet orné d’un phallus) ; un dieu des voyageurs ; ou un dieu pastoral, gardien des troupeaux ; ou un dieu de la chance ( l’hermaîon en grec, c’est la « trouvaille ») ; ou un dieu de l’éloquence et de la raison ; ou un dieu « fripon » patron des voleurs, etc. !
Le dieu patronnant la circulation des richesses
Pour les Grecs, il y avait deux types de richesses :– D’un côté, la richesse thésaurisée dans l’ἶοκος : les biens immobilisés, l’accumulation domestique sur laquelle veille Hestia comme gardienne du Foyer (réserves alimentaires ; biens précieux du type des ἄγαλμα, verrouillés dans les coffres du θάλαμος ; or et tissus de prix).
– De l’autre, la richesse circulante, par exemple ces hedna à quatre pattes (le bétail comme « don matrimonial » – évoqué plus haut – qui quitte un foyer pour un autre). C’est le domaine d’Hermès selon l’hymne : « Garde donc ces privilèges, fils de Maïa, ainsi que les vaches agrestes au pas traînant, prends soin des chevaux et des mules patientes… sur les lions au poil fauve, les sangliers aux défenses éclatantes, sur les chiens, les moutons que nourrit la vaste terre, sur toute bête qui marche à quatre pattes ( pasi d’epi probatoisi ) Zeus a donné à Hermès de régner (anassein) » . En permettant l’échange « troupeau contre femme-lyre », l’action d’Hermès a été de « faire circuler » ces richesses animales, par essence mobiles. D’où la figure bien connue de l’Hermès berger (agrotèr ou nomios, ou le criophoros : qui porte un bélier sur les épaules) ; Hermès du Cyllène en Arcadie est : « à la fois le dieu d’une catégorie d’habitants, les bergers, et le dieu national d’une région ». Ainsi donc, avec Hermès, la richesse sort de l’ἶοκος : c’est guidé par Hermès que Priam, quittant Troie, sort du fond du θάλαμος les trésors de la rançon, pour les porter à Achille (Iliade, XXIV, 228-442). Hermès, maître de la parole, donne aussi à Priam des indications sur ce qu’il devra dire à Achille, et comment ( XXIV, 465-467) : c’est une indication concernant les autres richesses, non matérielles mais spirituelles (paroles, discours, enseignements), sur la circulation desquelles Hermès règne aussi.
L’association Hermès/Hestia semble donc reproduire la dualité complémentaire des deux richesses : la richesse thésaurisée (Hestia) et la richesse circulante ( Hermès)
Patronnant la mise en circulation des richesses, Hermès est en même temps celui de leur répartition entre les humains, le dieu distributeur, celui de l’allotissement.
Lyre contre vaches : Hermès – qui fait circuler les biens, mots ou richesses – est le dieu de l’échange, et par là aussi du commerce. Après avoir constaté que « cet objet de tes soins [ la lyre] vaut bien cinquante vaches », Apollon reconnaît : « Fils de Maïa, Messager à la tête rusée, j’ai peur que tu ne me voles à la fois ma cithare et mon arc recourbé. Tu tiens de Zeus le privilège d’être pour les hommes, sur la terre nourricière, le fondateur de l’échange (épamoibima erga, croisée de dons) ». Hermès règne sur les lieux publics où les hommes, ayant quitté leur demeure privée, se rencontrent pour échanger.
Attributions « aléatoires » : le dieu des sorts et du hasard Ce qui caractérise la répartition des parts chez Hermès, c’est qu’elle s’opère au hasard, de manière totalement aléatoire. Ainsi pour la rencontre avec la tortue, fortuite (« la riche aubaine – Σύμβολον⁄– que me voilà ! »,). La trouvaille inattendue est d’ailleurs nommée hermaion en grec. Quand il accomplit le « sacrifice » nocturne aux douze Dieux, c’est au sort qu’il tire les parts : « sur une large pierre plate, il divisa les chairs en douze parts qu’il tira au sort (kléropaleîs) »
Mercure, Mercurius, est le dieu du négoce et protecteur des marchands dans la religion romaine, identifié peu à peu avec l'Hermès des Grecs dont les aspects sont beaucoup plus variés.
Les Romains en ont fait par ailleurs le père de leurs dieux Lares. Son culte paraît dater de l'expansion commerciale de Rome sous les Tarquins, et être dans un rapport étroit avec le commerce des céréales; à Cumes, en Campanie et en Sicile, où était le grenier des Romains, Mercure est fêté, tout comme à Rome, en compagnie de Cérès, et sa rattachée à l'influence des livres sibyllins.
Rome, dans ses premiers temps, n'avait ni pensé, ni beaucoup tenu à avoir un commerce indépendant : la fondation même d'Ostie, sous Ancus Martius, n'indique que le désir très prononcé d'oc seulement aux Tarquins que Rome dut, sous ce rapport, une vive et forte impulsion, comme le prouve le premier traité de commerce conclu entre Rome et Carthage
De là vient l'absence complète d'un dieu, soit de la mer, soit du commerce, parmi les dieux nationaux de Rome. Cependant, un immense commerce grec s'était établi sur les côtes de la mer Méditerranéet et force fut à l'Italie, soit romaine, soit étrusque, quand elle prit part à ce commerce, d'emprunter à la Grèce, avec les avantages de sa mythologie, ses ressources, sa terminologie et ses dieux.
C'est peu de temps après l'expulsion des Tarquins, en 495 av. J.-C., qu'on ouvrit à Rome le premier temple de Mercure, le jour des ides de mai, et cela à la suite d'une disette qui avait fait consulter les oracles de la Sibylle. Cette dédicace fut l'occasion du règlement de l'annone ou taxe officielle des grains, et de l'institution du collège des Marchands (Mercatorum collegium ou mercuriales). A partir de ce moment, le dieu devint celui de tous les marchands et boutiquiers sans distinction. A mesure que le commerce s'étendit à Rome, son dieu prit aussi une plus grande importance. Toutes les rues marchandes eurent leurs statues, leurs chapelles, et même leurs surnoms particuliers de Mercure.
Le vieux temple principal était situé vers l'extrémité sud du cirque Maxime, devant la porte Capène, où on en a retrouvé des vestiges. Les marchands sacrifiaient le jour des ides de mai à Mercure et à Maïa sa mère; en même temps, par un usage, ils croyaient s'assurer plus infailliblement encore la faveur de ce dieu de la ruse et de la tromperie, si nécessaire au succès de leur négoce. Près de ce temple de Mercure était une source qui lui était consacrée, le marchand y puisait de l'eau, trempait dans cette eau une branche de laurier, en arrosait sa tête et ses marchandises, et priait Mercure d'écarter de lui-êème et de son étalage l'odieux de toutes les fautes qu'il avait pu commettre.
Dès le IIe siècle avant notre ère, l'influence des idées grecques altéra en l'amplifiant la signification primitive du Mercure des Romains; mais il fut populaire, surtout comme dieu du négoce. Chez Plaute, dans le prologue de l'Amphitryon, Mercure est encore tout simplement le dieu du commerce. Plus tard, chez Horace et chez Ovide, le sens plus large et plus délicat de l'Hermès grec anoblit la conception de Mercure. En même temps que ce dieu, son attribut ordinaire, symbole des relations pacifiques, le caducée s'était répandu en Italie de fort bonne heure : cependant les Féciaux n'en ont jamais fait usage.
Ce qu'il y a de singulier, c'est que, peu en faveur à Rome, le symbole est devenu au contraire fort commun avec le temps dans les provinces septentrionales de L'Empire, et qu'aujourd'hui on en retrouve beaucoup de monuments dans la Lorraine, dans l'Alsace, dans les vallées du Rhinet de Danubeo où le commerce romain était en grande activité. Nous savons aussi que l'artiste grec auteur du colosse de Néron, Zénodore, fit aussi aux Arvernes une statue fort précieuse de leur Mercure. De façon générale, Mercure était célèbre dans la Gaule entière; il n'est d'ailleurs pas de province dans ce pays où les hommages à Mercure, inscriptions, bas-reliefs, petits bronzes, etc., ne se chifrent par centaines. Il est vrai que ces monuments peuvent souvent s'attribuer aux cultes indigènes, sur lesquels la mythologie romaine exerça une grande influence. On ne sait, cependant, avec quel dieu celtique il convient surtout d'identifier le Mercure des Romains. La difficulté même du problème prouve combien fut profonde l'action de la religion des Romains sur celle des Gaulois, puisqu'elle élimina, peu s'en faut, jusqu'au souvenir précis du dieu indigène. (L. Preller / J.-A. H.).