MYTHOLOGIES

MYTHOLOGIES

Le porc dans les religions

C’est une fréquentation très ancienne, qui remonte à l’époque où le porc sauvage a été domestiqué, c’est-à-dire 6 000 ou 7000 ans avant notre ère. L’homme et le cochon vivent dans une proximité étroite depuis que l’homme est sédentaire, qu’il a une vie sociale et habite dans des villages. Le cochon ne peut pas suivre les tribus nomades, contrairement à la chèvre ou le mouton. C’est pourquoi il a été domestiqué bien après eux. C’est aussi pour cette raison qu’il est méprisé par les peuples nomades.
Dans l’hémisphère nord, on peut dire que déjà 500 ans avant notre ère, le porc joue un rôle très important dans l’imaginaire et les représentations de nombreux peuples, notamment en Europe les Germains et les Celtes. Non seulement le porc sauvage mais aussi le cochon domestique. Pour la médecine grecque, puis romaine, il existe déjà l’idée d’un cousinage anatomique et physiologique entre l’homme et le porc. Mais il faut attendre le Moyen Age et la grande médecine arabe pour que cette idée s’exprime plus nettement. De leur côté, les auteurs chrétiens des XIIe et XIIIe siècles reconnaissent trois animaux comme «cousins de l’homme». D’abord l’ours, qui lui ressemble extérieurement. Puis le cochon, qui lui ressemble intérieurement. Au point que, l’Eglise interdisant la dissection du corps humain, dans les écoles de médecine, on étudie l’anatomie humaine à partir de la dissection du verrat ou de la truie, avec l’idée qu’à l’intérieur «tout est identique» (ce que confirme pleinement notre savoir du XXIe siècle). Enfin il existe un troisième «cousin de l’homme» : le singe. Mais là, tous les auteurs précisent qu’en fait le singe ne ressemble pas du tout à l’homme mais qu’il est tellement diabolique qu’il fait semblant de lui ressembler. Il faudra attendre le XVIIIe siècle pour que l’idée d’une ressemblance entre le singe et l’homme fasse son grand retour.
Aujourd’hui sont définitivement éliminées toutes les hypothèses climatiques et hygiéniques qui avaient cours autrefois. Elles soulignaient que la viande de porc se conservait très mal dans les régions chaudes : consommée par les humains, elle engendrerait de nombreuses maladies, notamment parasitaires. En fait, dans une même région chaude, certains peuples mangent du porc et d’autres non. Il faut donc chercher ailleurs les raisons du tabou, notamment celui qui a cours dans l’islam et le judaïsme. A mon avis, la piste la plus sérieuse se trouve dans ce cousinage anatomique, physiologique et biologique entre l’homme et le cochon dont nous venons de parler. Le cochon est avec les grands singes l’animal le plus proche de l’homme. Par là même, manger du porc, c’est presque être cannibale.
En effet, quand on lit l’Ancien Testament, il faut prendre en compte la liste complète des animaux interdits pour mieux comprendre les critères de ces tabous. Ce sont tous des animaux difficiles à classer (par rapport aux savoirs antiques). Le cochon a bien le sabot fendu comme les ruminants mais il ne rumine pas. De même, vivent dans la mer des animaux qui, contrairement aux poissons, n’ont pas de nageoires ni d’arêtes (mollusques, crustacés). En fait, tout ce qu’on n’arrive pas à classer est scandaleux, inquiétant, rejeté ou impur. On retrouve ce même argument chez Buffon, pour qui les animaux qui ne rentrent pas dans sa classification semblent suspects. Il tient ainsi des propos très négatifs sur le porc qui, selon lui, serait une erreur de la nature, une imperfection : il ne rumine pas, est sale, lubrique, glouton. Mais il est dithyrambique sur le cheval ou l’écureuil. La part de subjectivité est grande.
pendant longtemps les cochons ont été noirs, bruns, gris, roux, tachetés mais pas roses. Il faut attendre la fin du XVIIIe siècle pour que les cochons deviennent roses (ou plutôt blanc-rose). Quand on a croisé les espèces européennes avec des espèces asiatiques pour améliorer la production de viande, la robe du porc s’est éclaircie. Les origines de ce cousinage supposé semblent beaucoup plus anciennes. On sait depuis longtemps que la chair de l’homme a le même goût que la chair du cochon. En outre, on a observé de bonne heure que rien ne ressemble plus à un bébé humain qu’un porcelet. Sur certaines photos prises par des ethnologues en Nouvelle-Guinée dans les années 20-30, on voit ainsi des femmes qui allaitent en même temps un bébé et un porcelet : on dirait des jumeaux. Enfin il faut redire combien la médecine ancienne souligne les ressemblances anatomiques et physiologiques entre l’homme et le cochon. Non seulement les organes sont les mêmes mais ils fonctionnent de la même façon. La médecine d’aujourd’hui emprunte du reste plus au porc (espèce non protégée) qu’aux grands singes. On greffe ainsi des valves cardiaques de porc, des foies de porcs, voire des cœurs de porc. L’insuline pour diabétiques a longtemps été celle du porc. Au Canada, on a même tenté une expérience montrant qu’une truie peut être mère porteuse d’un embryon humain pendant quelques heures, le temps qu’on opère la mère humaine. Un fœtus humain peut survivre quelques heures dans un utérus de truie ! Ce cousinage entre l’homme et le cochon est vraiment étroit, et je pense qu’il est la cause des interdits et des rejets qui entourent cet animal trop humain.
Certains défauts qui lui sont attribués sont nés d’une observation trop rapide : le porc serait sale. En fait, cette saleté n’en est pas une : le cochon a des pores qui transpirent mal ; il doit donc se rafraîchir en se roulant dans de l’eau plus ou moins propre (et qui parfois n’est que de la boue). Pour les auteurs du Moyen Age, le cochon a aussi un autre défaut : il fouille constamment le sol avec son groin et ne regarde jamais vers le ciel, c’est-à-dire vers Dieu. Donc, c’est une créature impie..
la luxure est un vice qu’on lui a attribué tardivement. Le chien a été symbole de luxure bien avant le cochon. Dans les sociétés anciennes, l’animal fornicateur et sexuellement sale est le chien. Mais tout au long du Moyen Age, le chien se revalorise, et peu à peu, la symbolique animale le débarrasse de ses différents vices pour en faire le fidèle compagnon de l’homme que nous connaissons. Entre les XIVe et XVIe siècles, elle lui retire ainsi le vice de luxure et le transfert au cochon qui n’y était pour rien. Il était malpropre, vorace, impie mais pas luxurieux. A partir du début de l’époque moderne, il le devient et l’est resté jusqu’à nos jours. Il fait désormais des «cochonneries», et son nom sert à désigner ou insulter les hommes lubriques : «vieux cochon !». C’est injuste pour le porc, qui est un animal plutôt chaste.



20/01/2019