MYTHOLOGIES

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0 Pashupati Shiva, le gardien du troupeau

Shiva prend de multiples formes, et il n’est pas seulement le destructeur, il est celui qui garde le troupeau, il est Pashupati. On retrouve d’ailleurs cette image du berger dans les religions qui sont culturellement plus proches de nous… Il est la force qui attribue à chacun sa place, le garant de l’ordre du monde et de ceux qui l’habitent. Il est le guide des yogis, des héros, dans le voyage intérieur qu’ils entreprendront tout au long de leur vie.

 

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Pashupati, le gardien du troupeau

L’une des différentes formes de Shiva est Pashupati, celui qui garde le troupeau, le seigneur des animaux. Associé à l’élément feu qui consume et permet les sacrifices en hommage aux dieux, cet aspect de Shiva est celui de la force vitale. Il symbolise la vie, le souffle vital duquel naît la parole. Il a le rôle du guide, de celui qui enseigne aux hommes. Le guide est présent en chacun de nous, c’est cette intuition que l’on nous a trop appris à taire et à qui nous tentons de redonner sa place.

Pashupati est-il Goraksha ?

Si l’on s’en tient à la chronologie habituellement présentée, pas du tout. Shiva enseignait le yoga à Uma (Shakti) dans un lieu perdu au milieu de l’océan. Il aurait été entendu par Matsyendranath qui se trouvait alors dans le ventre d’un poisson qui nageait à côté des êtres divins. Matsyendranath (assimilé au sage Minapa) aurait ensuite transmis les grands principes du yoga au jeune Goraksha… Dont le nom signifie « gardien du troupeau », mais que l’on peut également interpréter comme « gardien de la connaissance », la vache étant le symbole du savoir. L’analogie entre les deux noms laisse évidemment planer le doute, même si d’un point de vu « historique » les deux personnages sont bien distincts.

Pashupati et Rudra

Les deux aspects de Shiva sont étroitement liés : Rudra veille également sur toutes les créatures, tous les êtres destinés à mourir. Cette forme terrible de Shiva peut parfois être assimilée à Pashupati : Rudra est le seigneur de la mort, il est donc particulièrement craint. La légende dit que les dieux oublièrent Rudra lors d’un sacrifice, ne lui réservant aucune part de l’animal sacrifié. Cette légende est reprise dans le Mahabarata, Rudra est craint et les autres dieux s’en tiennent éloignés. En colère, Rudra poursuit l’animal qui doit être sacrifié et sa fureur fait trembler le monde et les dieux. Brahma finit par accepter de lui laisser une part du sacrifice car sa fureur, sa violence fait partie inhérente de tous les sacrifices, elle doit être reconnue, canalisée mais en aucun cas niée. Les dieux s’inclinent alors devant Rudra et reconnaissent leur faute : il devient alors leur maître, Pashupati. Le rejet de Rudra, c’est le rejet de la mort. Ce n’est pas en l’ignorant et en refusant d’y penser que l’on peut vivre en paix avec elle, c’est en l’acceptant et en l’accueillant comme faisant partie intégrante de la vie.

 

Représentations et attributs de Pashupatipashupati1

Shiva sous la forme du Pashupati est associé à l’élément du feu. Il est représenté comme un homme à 3 ou 5 têtes. Shiva est le maître, celui qui n’est asservi par aucun lien contrairement aux êtres sur lesquels il doit veiller. Il est la conscience pure et il est le seul être qui ne dépend de personne, même s’il ne se manifeste qu’en présence de sa Shakti.

Pashupati dans les Védas

Pashu est la créature, pati le gardien et nath le seigneur : Shiva sous sa forme de Pashupati ou Pashupatinath est donc le protecteur et le maître des créatures, de « tous les êtres animés par le souffle vital », précise la Shiva Purana, ou encore « le seigneur des âmes liées ». On retrouve aussi fréquemment une traduction plus précise mais plus limitante : le maître des animaux. Par créatures, on peut bien sûr entendre tous ceux qui ont besoin d’un guide. Pashupati est le nom de Shiva dans l’Atharva Veda. Dans les Védas, on retrouve une autre interprétation, celle de « maître des victimes sacrificielles », les bêtes étant utilisées pour certains sacrifices rituels. Une explication qui prend tout son sens lorsque l’on sait que le pasha, le lien, lie chaque être à la mort et que ces pasha ne peuvent être desserrés ou défaits que par la pratique.

La secte des Pashupata

Il s’agissait d’un courant du shivaïsme dont les fidèles adoraient Shiva sous la forme de Pashupati. Pour les pashupata, le bétail, ce sont les personnes qui vivent encore dans l’illusion et qui ont encore besoin d’un guide extérieur. Le guru endosse donc le rôle de Pashupati, mais ce n’est que temporaire : chacun doit ensuite apprendre à devenir son propre guide ! Le temple népalais de Pashupatinath est situé sur les rives de la rivière Bagmati est l’un des plus visités du Népal. Les crémations ont toujours lieu près du temple. Les cendres des défunts sont ensuite jetées dans la rivière qui se jette dans le Gange.

Le Pashupata, une arme puissante !

Il est intéressant de noter que pashupata, c’est également le nom de l’arme de Shiva dans le Mahabharata (aussi appelée « Brahmashiras »). Une arme qui tranche les liens, les attachements ? Elle lui sert à combattre mais c’est aussi grâce à elle que Shiva détruira le monde quand le moment sera venu. Afin que l’arme ne soit pas utilisée à mauvais escient Shiva garde le mantra qui lui donne son pouvoir de destruction. Il confiera finalement le Pashupata à Arjuna. À l’origine, il s’agissait de l’arme de Brahma qui défia Vishnu avec le pashupata.

 

 

Au centre du livre d’Alain Daniélou, Shiva et Dionysos – Fayard 1979, quelques planches illustrées forment un cahier. Des images d’origines éclectiques, européennes et indiennes qui montrent d’évidentes similitudes entre phallus païens pré-romains et Lingam, par exemple. L’auteur explore dans ce livre, les aspects archaïques et universels de la vision Shivaïte du Monde.

 

 Le chaudron de Gundestrup a été trouvé au Danemark, au 1er siècle avant notre ère et montre le dieu Cernunnos qui fait penser à Paśupati, le maître des animaux, un aspect de Śiva bien connu.

l’hégémonie romaine a fini par éradiquer les cultures antécédentes à la « pax-romana »  qui créa un empire stable, vers le 1er siècle de notre ère. Ces peuples Européens païens n’écrivaient pas, auraient vécu de façon régionale voir tribale et leurs habitations, faites de poteaux de bois, terre et chaume auraient été remplacées par d’autres au fil des siècles.

 

L’empire Romain n’a pas éradiqué les populations païennes mais les a lentement assimilées, par la force militaire et surtout de gré, par la corruption de certains clans au détriment d’autres, lors d’alliances stratégiques et commerciales. Pas d’écriture, du bâti en végétal, des sociétés agraires et artisanales. Et enfin la disparition par assimilation lente, autant de raisons à l’absence de trace historique.

 

Ce sont les récits de Jules César qui ont fait l’Histoire des peuples Celtes, les vaincus étant toujours racontés par le vainqueur. L’Histoire est faite d’écrits, l’archéologie est une science très récente qui ne fait parler les objets que muettement. Quelques recherches à propos de cette période donnent à voir en creux et en fluide plus qu’en certitudes. Les pratiques religieuses pré-chrétiennes d’Europe restent mystérieuses.

 

 

Mohenjo-Dar

 

Nul ne sait non-plus scientifiquement dire ce que représente le seau exhumé des ruines de la ville archaïque de Mohenjo-Daro en 1920, au Pakistan. L’image  du livre de Daniélou montre un homme cornu entouré d’animaux mais les signes n’ont jamais été déchiffrés, l’auteur le dit clairement. Et Ysé Tardan-Masquellier, historienne actuelle, ne dit pas autre chose sur ce point dans son livre  L’hindouisme – Bayard 1999 (p 25). Sans écrit, la science ne sait pas ce que pensaient les habitants de cette cité, il y a 4 500 ans.

Véda

Le monde Védique a donné de l’écrit à partir de 1 500 avant notre ère. Le quatrième Véda, l’Atharvaveda, fait le lien entre le dieu Rudra dans son aspect Paśupati (maître des animaux) et Śiva (le bienveillant), un autre aspect de la même énergie.

L’Atharvaveda est le livre le plus intime et mystérieux des quatre Véda. Les rites qui y sont décrits correspondent à la part certainement initiatique des prêtres. Prolongé par des āraṇyaka, recueils concernant les pratiques en forêt (araṇa), lieu de ressourcement de ces prêtres et d’expression des pouvoirs des dieux.

Vers le – VIIIe siècle, la Bṛhadāraṇyaka-upaniṣad prolonge cette démarche intime de compréhension du monde à destination des “sages”.
Les dieux Védiques sont des śakti, des pouvoirs, des énergies du Monde vénérées dans le but d’être invoquées ou alors sont craintes et sont présentes en couples paradoxaux. Les dieux possèdent de multiples formes qui correspondent aux forces en présence dans le monde et dans l’Homme. L’anthropomorphisme de la représentation picturale n’a pas eu lieu avant le Moyen-Âge, quinze siècles après la Bṛhadāraṇyaka-U.

Ce monde Védique, de tradition orale n’a pas produit d’images, ni de statues etc… mais il a produit le Sanskrit qui, notamment dans les upaniṣad anciennes s’exprime en tant que tel : la langue saṃskṛta, c’est-à-dire parfaite, parachevée pour dire la réalité et l’invoquer lors des rites. En cela, la parole, dite en Sanskrit ne peut-être que créatrice et à la fois, elle dit vrai !

Purāṇa

A partir du début de notre ère, la Tradition est réécrite dans les Purāṇa. Une réécriture sous forme d’histoires et de comptes, à destination de tous et non plus seulement à l’usage des Brahmanes et guerriers. La langue prend des usages nouveaux qui s’ajoutent aux anciens.
Ainsi :
Le Rudra védique est compatissant : Śiva, il est aussi bienveillant : śaṃkara
Śiva devient un dieu à part et est, entre autres attributs, “maître des animaux” : Paśupati
Pati : le maître
Paśu : le bétail et aussi l’humain pris dans la pensée conditionnée, le saṃsāra !

C’est à partir des Purāṇa que les formes populaires et dévotionnelles (Bhakti) se déploieront et à partir de là que l’iconographie anthropomorphe des divinités prendra place. Un écart extrêmement important pour ce qui est de la pensée, tout l’invisible devient visible sous des formes caricaturales bien que souvent aussi instructives.

Tradition Shivaïte

 

La très célèbre sculpture de Śiva dansant n’est pas vue, dans la Tradition, comme le dieu qui danse mais comme l’ascète se livrant à la danse de Śiva. Celle éternelle, des résorption et déploiement du Monde.
Nombreux sont ceux qui disent “c’est Shiva qui danse”, l’icône ayant tendance à être prise pour la réalité alors que chaque détail est montré pour instruire. Une évidence que notre civilisation de consommation sentimentale d’images ne peut voir que très difficilement.

La statue vient du sud de l’Inde et du Xe siècle de notre ère. Au Nord, au Cachemire à ce moment là, est réaffirmée la très ancienne vision shivaïte. C’est en fait la Tradition qui est redite à neuf, celle qui était védique à un moment donné et qui vient du début de ce cycle cosmique. Śiva est alors le nom de l’Au-delà-le-manifesté, Śakti, la puissance qui permet les mouvements de résorption et expansion, la respiration du Monde.
Et là, l’absolu ne saurait-être représenté en une forme !

Śiva et sa Śakti créent le Monde tel que les Puruṣa et Prakṛti Védique (pardon pour le raccourci forcément réducteur). Dans ce contexte, bien sûr que Śiva est le maître des animaux, il est le maître de tout et il est inactif ! Mais la création, qui n’est autre que lui-même, s’échappe fondue dans l’ignorance de sa véritable nature ! C’est l’enseignement qui est donné dans le Śivasūtra ; une vision et un chemin de Yoga pour l’ascète, l’étudiant, afin qu’il puisse se joindre à ce qui est la cohérence du monde, l’Intelligence qui se dit Śiva.
Peut-être est-ce là que revient l’āraṇyaka ?
Celui qui s’en va en forêt, recevoir l’enseignement à la source devient peut-être l’ami des animaux sauvages ? Peut-être devient-il le maître de son état de paśu (bétail) 



15/01/2018