MYTHOLOGIES

MYTHOLOGIES

Tristan et Yseult

 

 

TRISTAN ET YSEULT

 

House of Cornwall (Thomas' version)

 

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House of Cornwall (Beroul's version)

 

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House of Cornwall  (according to the Prose )

 

 

 

L’histoire des amants de Bretagne, Tristan et Iseut, a connu dès le Moyen Âge un succès extraordinaire et a donné naissance dès le XIIe siècle à l’un des mythes fondateurs de l’Occident. Histoire d’amour et de mort, elle exalte la passion contrariée de deux jeunes gens qui, ne pouvant s’aimer de leur vivant, se rejoignent dans la mort. 
Ce récit nous est parvenu de façon fragmentaire, à travers des textes incomplets ou mutilés, composés au XIIe et XIIIe siècles. C’est entre 1150 et 1170 sans doute, que plusieurs auteurs tels que Marie de France, Béroul, Thomas d’Angleterre ou encore Chrétien de Troyes ainsi que quelques clercs restés anonymes ont rassemblé des données anciennes venues de récits essentiellement celtiques pour en faire des œuvres certes diverses, mais qui toutes développent cette thématique de l’amour-passion et racontent l’histoire de ce couple formé par Tristan et Iseut.
 
 
 

Des origines celtiques

Les origines de la légende tristanienne ont donné lieu à bien des hypothèses. La plupart des critiques s’accordent aujourd’hui pour dire qu'à l’origine de cette histoire sont sans doute des récits celtiques. Un récit irlandais intitulé La fuite de Diarmaid et Grainne, attesté dès le Xe siècle, contient ainsi un certain nombre d'éléments qui annoncent les versions postérieures de Tristan et Iseut : un roi irlandais Finn a pour épouse Grainne ; elle jette un sort (geis) sur le neveu du roi, Diarmaid, et l’oblige à l’enlever et à se réfugier avec elle dans la forêt. D’abord chaste, Diarmaid laisse chaque matin un morceau de viande crue à l’endroit où ils ont dormi. D’autres récits celtiques font allusion à des combats contre un dragon, à des philtres magiques préparés par des femmes expertes en enchantements. Certains rapprochements ont été faits avec des récits persans, mais aussi avec des thèmes développés dans les textes antiques et les récits mythologiques : on a comparé la figure du Morholt et celle du Minotaure, l’évocation des deux voiles, blanche et noire, du bateau qui amène Iseut auprès de Tristan mourant rappelle la traversée de la mer Égée par Thésée après qu’il a réussi à sortir du labyrinthe…
Les auteurs du XIIe siècle ont entendu les récits bretons qui se répandent sur le continent dans la deuxième partie du XIIe siècle et, rassemblant ces données orales, ont construit une histoire d’amour qui a intégré les modes littéraires de leur époque en particulier l’idéologie courtoise.
 
 

Une histoire composite

Aucun texte médiéval français ne contient le début de l’histoire de Tristan et Iseut : il faut en reconstituer les premiers chapitres grâce à des traductions ou adaptations étrangères du début du XIIIe siècle, en particulier en allemand et en norvégien, qui prouvent que ces éléments étaient connus.
Blanchefleur, la sœur de Marc, roi de Cornouailles, épouse le roi de Lonnois en Bretagne continentale. En apprenant la mort de son mari, elle meurt en mettant au monde un jeune enfant qui sera nommé Tristan. Elevé par Governal, celui-ci rejoint la cour du roi Marc. Or le royaume de Cornouailles est à cette époque assujetti à une coutume ancienne : payer chaque année un tribut de jeunes gens à un géant d’Irlande, le Morholt. Tristan défie et tue ce géant, mais blessé est soigné par la fille du roi d’Irlande, Iseut, grâce à des herbes. Quant au roi Marc, pressé de se marier par ses barons, il veut épouser la jeune fille dont un cheveu d’or a été apporté par une hirondelle. Tristan retourne en Irlande à la recherche de cette jeune fille et tue un dragon qui menace le pays. Blessé, il est à nouveau soigné par Iseut, qui se révèle être la jeune fille à qui appartient le cheveu d’or. Tristan la ramène en bateau vers la Cornouailles afin de la conduire à son oncle Marc.
 
 
Les extraits que nous conservons des premières versions du XIIe siècle commencent à ce moment de l’histoire, quand les deux jeunes gens ont bu le philtre qui les fera s’aimer. Sur le bateau qui les ramène en Cornouailles, Tristan et Iseut accablés par la chaleur boivent d’un "vin herbé" préparé par la mère d’Iseut et destiné au roi Marc pour qu’il soit amoureux de sa femme. C’est ainsi que les jeunes gens, après avoir bu ce philtre d'amour qui ne leur était pas destiné, vont être envahis par une passion irrésistible l’un pour l’autre. Dans la version de Béroul, le philtre préparé pour trois ans cesse d’agir au bout de ce laps de temps et la reine Iseut rejoint alors son mari, le roi Marc. Dans la version de Thomas, la durée du philtre est illimitée. Cependant dans tous les cas tout se passe comme si Tristan et Iseut s’aimaient toujours d’un amour profond et devaient se cacher.
 

Le roman de Tristan de Béroul

 


Les vers laissés par Béroul passent pour être la marque d’une certaine brutalité, ou du moins d’un certain réalisme. L’univers dans lequel se place l’auteur est celui de la féodalité : Marc et son neveu Tristan sont liés par un lien de parenté mais aussi par un lien vassalique. Les amants sont poursuivis par la malveillance de barons félons jaloux de la préférence du roi pour son neveu. Des usages juridiques sont évoqués : la condamnation d’Iseut au bûcher, son jugement selon les usages de l’époque lors d’un procès public et oral. Les amants sont soumis à une succession de pièges et de dénonciations dont ils sortent grâce à la ruse le plus souvent. Sont dessinés des personnages forts : Iseut est celle qui réfléchit, manie les propos mensongers et les serments ambigus, tantôt reine rayonnante de beauté, tantôt amante soumise aux pires souffrances morales et physiques ; Tristan est tourné vers l’action ; la figure royale avec le personnage de Marc est affaiblie, parfois ridiculisée. Des scènes dramatiques et théâtrales sont montrées : celle où Tristan rejoint Iseut dans son lit en croyant déjouer la ruse préparée par le nain Froçain qui a répandu de la fleur de farine entre les deux lits, la scène où Iseut échappe au bûcher mais est donnée aux lépreux, la scène où les amants poursuivis se réfugient dans une "loge de feuillage" dans la forêt de Morois et sont découverts par le roi, la scène enfin où Iseut se justifie publiquement et clame son innocence.
 
 

Le roman de Tristan de Thomas

 


Très différent du texte de Béroul, bien que contemporain, le roman de Tristan composé vers 1170 par Thomas d’Angleterre, clerc à la cour d’Henri Plantagenêt et Aliénor d’Aquitaine, permet d’imaginer la suite et le dénouement de cette histoire. Six fragments nous sont parvenus : les amants sont découverts endormis par le roi et le nain dans un verger, Tristan se marie avec une autre femme qui s’appelle Iseut aux Blanches Mains, Tristan qui pense toujours à celle qu’il aime, Iseut la Blonde, fait réaliser une salle contenant des statues évoquant son amour, Tristan et Kaherdin se rendent en Angleterre afin de revoir Iseut la Blonde, Tristan retourne en Petite-Bretagne et enfin Tristan et Iseut meurent ensemble. 
Thomas dit avoir entendu les récits de différents conteurs bretons, en particulier d’un certain Bréri, poète gallois, et les avoir utilisés pour écrire un roman auquel il prétend donner une unité. Il choisit pour son récit une tonalité très différente de celle de Béroul. Le conflit féodal entre Marc et Tristan est laissé de côté. Discours et monologues se multiplient afin d’expliciter les sentiments des personnages. Certes il redit la force de l’amour qui unit les jeunes gens, mais a surtout le désir d’adapter cette histoire aux exigences de la fin’amor : la passion n’est pas due à la magie d’un philtre, mais au choix de chacun des amants pour l’autre. La culpabilité n’existe pas car la conduite de Tristan et Iseut se justifie ici totalement par la morale courtoise qui exalte l’amour adultère. Thomas cherche essentiellement la  "verur", c’est-à-dire vérité des sentiments et la vraisemblance des caractères. Tristan est un personnage qui se livre à l’introspection, est souvent hésitant, souffre de profonds tourments loin de celle qu’il aime ; ses choix l’entraînent vers de nouvelles souffrances. L’existence de Tristan n’est plus, en l’absence de toute possibilité d’être heureux avec Iseut, qu’une série de renoncements : à sa position sociale, au monde chevaleresque et à tout bonheur personnel.
C’est ainsi que Thomas d’Angleterre insiste sur le fait que Tristan décide d’épouser une autre femme dans l’espoir d’oublier celle qu’il aime. Il supporte mal non seulement d’être séparé d’elle, mais aussi d’imaginer qu’elle accepte de partager le lit de son époux, le roi Marc. Il choisit Iseut aux Blanches mains, sœur de son ami Kaherdin, double de la reine par le nom et la beauté, mais il ne trouve pas l’apaisement dans ce mariage, incapable d’oublier Iseut la Blonde et de la remplacer. L’auteur se complaît ici à analyser longuement les tourments de Tristan, recourant à tous les artifices de la rhétorique.
 
 
La scène de la mort des deux amants est la plus belle illustration du pathétique qui caractérise le récit de Thomas. Lors d’un combat contre six redoutables chevaliers, frères d’Estout l’Orgueilleux, Tristan est mortellement blessé. Il demande à Kaherdin de prévenir Iseut la blonde qui seule pourra le guérir. Celle-ci tente de le rejoindre en Petite-Bretagne, mais retardée par les péripéties de la traversée en mer arrive trop tard pour le sauver. Le drame final est causé par l’épouse de Tristan, Iseut aux Blanches Mains, qui par jalousie lui ment et lui fait croire que le bateau qui approche arbore une voile noire et non une voile blanche, ce qui signifie qu’Iseut n’est pas sur le bateau. Tristan pensant que son amie ne viendra pas se laisse mourir. La douleur d’Iseut la Blonde est alors à son comble :

Ami Tristan, quand je vous vois mort, je ne puis ni ne dois continuer à vivre. Vous êtes mort par amour pour moi, et moi mon bien-aimé, je meurs de douleur de n’avoir pu venir à temps. (vv.3233-36).


Thomas insiste sur l’impossibilité physique que connaissent les amants de vivre l’un sans l’autre. Cela le conduit à construire une superbe scène où Iseut s’étend sur le corps de Tristan et, lui baisant la bouche et le visage, se laisse mourir à son tour :

Corps contre corps, bouche contre bouche, elle rend l’âme aussitôt, mourant ainsi auprès de lui de la douleur qu’elle ressent pour son ami. (vv. 3267-70)


Cette scène est l’une de celles qui sont restées au-delà des siècles dans la mémoire des lecteurs et a donné à cette histoire d’amour une grandeur et une beauté inégalées.
 
 

Un lai de Marie de France

 
Les aventures des amants ont donné naissance à un certain nombre de petits récits autonomes qui chantent volontiers la souffrance due à la séparation. L’un des plus célèbres est le Lai du Chèvrefeuille composé par Marie de France vers 1165, qui en 118 vers, reprend l’évocation courtoise de l’amour de Tristan et Iseut. Les amants se retrouvent en forêt, pour quelques minutes de bonheur, grâce à une ruse de Tristan qui a écrit sur une baguette le coudrier son nom afin d’avertir la reine de sa présence. Il grave aussi son amour en une formule superbe évoquant la façon dont le chèvrefeuille s’enlace autour du coudrier et ne peut plus en être séparé : 

Belle amie : il en est ainsi de nous ; ni vous sans moi ni moi sans vous. 
(v. 77-78)


Marie de France qui prétend avoir lu cette histoire dans un livre en connaît l’issue tragique et rappelle que cet amour valut bien des souffrances aux amants avant de causer leur mort le même jour. 

D’autres textes nous sont parvenus sous forme d’extraits qui choisissent de raconter comment Tristan, obligé de vivre loin de la reine, cherche à la revoir. Il s’agit des Folies(manuscrits de Berne et d’Oxford). Traversant la mer Tristan se présente à la cour déguisé en fou ou en jongleur afin de revoir celle qu’il aime. Iseut peine parfois à identifier Tristan sous ces déguisements alors que le chien Husdent lui reconnaît son maître. Là encore il s’agit de raconter quelques moments de bonheur que les amants peuvent savourer grâce à la ruse et au mensonge.

 

Tristan en prose



Le récit en prose – sans doute pour répondre à l’attente des lecteurs de l’époque – présente une vue élargie de l’histoire de Tristan et de ses ancêtres, en la rattachant au temps du Christ : Tristan descend d’une lignée issue de Bron, beau-frère de Joseph d’Arimathie. Après un long récit des unions successives de ses ancêtres, le texte évoque le moment où Marc devient roi de Cornouailles et où sa sœur Hélyabel épouse le roi de Léonois, Méliadus. Celui-ci, ensorcelé par une fée, disparaît et Hélyabel meurt de douleur en donnant naissance à un fils qui reçoit le nom de Tristan. Avec l’aide de Merlin Tristan est confié à un jeune homme noble, Governal qui devient son précepteur. Méliadus se remarie avec la fille du roi Hoêl de Petite-Bretagne qui jalouse de Tristan cherche à l’empoisonner et le contraint à se réfugier en Cornouailles à la cour de Marc, où il parfait son apprentissage de chevalier. Parmi ses dons il possède celui de jouer de la harpe et de savoir chanter. 
Les épisodes anciens où les amants s’aiment en cachette sont conservés en particulier celui du philtre d’amour : "Iseut regarde Tristan et Tristan regarde Iseut ; ils se contemplent avec une telle intensité que l’un et l’autre connaissent leur amour et leur désir." Les amants doivent se séparer et des aventures nouvelles et multiples sont insérées. Ainsi d’autres chevaliers aiment Iseut : Palamède, mais aussi Kaherdin qui meurt de cet amour qu’Iseut refuse de partager. Tristan lui se croit trahi et erre longuement dans la forêt en proie à la démence.
 
 
 

Tristan réfugié à la cour d'Arthur

La grande innovation du récit est que, Tristan, poursuivi par la haine du roi Marc, doit se réfugier au royaume de Logres et à la cour du roi Arthur. Désormais il mène une vie de chevalier errant, réalisant les plus grands exploits chevaleresques qui le placent parmi les meilleurs chevaliers arthuriens et peut être comparé à Lancelot. Les amants séparés s’écrivent des lettres et des "lais" d’amour qui donnent à ce roman une tonalité lyrique.Iseut d’abord à la cour du roi Marc, devant les dangers qui la menacent, rejoint Tristan au château de la Joyeuse Garde, prêté pat Lancelot, mais continuent à souffrir des absences répétées de Tristan qui s’attarde à la recherche d’exploits et participe à la quête du Graal. La fin du roman ne garde pas la belle image de la traversée entre la Grande et la Petite Bretagne. Lorsque les amants se retrouvent, Tristan est blessé, par une blessure due à une épée couverte de venin par Morgane. Il fait ses adieux à la chevalerie et à ses compagnons d’aventure, Lancelot, Palamède et Dinadan et serre Iseut sur sa poitrine avec une telle force qu’elle en meurt en même temps que lui quitte la vie. Les amants sont alors "couchiez bouche a bouche" et sont réunis dans la mort comme dans les versions antérieures. Le roi Marc, bouleversé par ce spectacle, ordonne que leurs corps soient enterrés ensemble à Tintagel.
 
Extrait de
http://expositions.bnf.fr/arthur/arret/06_2.htm


29/01/2017